Dans le tiroir de la table de nuit

Novembre a succédé à un mois d’octobre glorieux. Et, comme d’habitude autour de la Toussaint, de nombreux sujets liés à la mort ont crépité dans les média. Il y a eu les visites de cimetière rebaptisées « nécro-tourisme », d’autant plus prisées que le lieu est « insolite ». Un sujet RTS sur les VSCD, entendez les personnes qui ont traversé un « Vécu Subjectif de Contact avec un Défunt ». Une news sur le nombre de décès en hausse en Suisse. Et une interview sur comment parler de la mort aux enfants. La liste exhaustive serait longue.

Le Toussaint’s festival nous permet d’« aller de la mort macabre vers la mort amie ». Nous explorons de nouveaux rituels funéraires, en cherchant du côté des peuples premiers. Tout cela dans une convivialité et une forme de légèreté sans doute bienvenues.

Alors quoi… ? On ne va quand même pas dégommer les bonnes volontés qui s’appliquent à détabouiser notre finitude ! Mais quel décalage en nous entre le discours, la réflexion collective, le partage convivial hors contexte, et le moment où on se retrouve vraiment face à la fin de vie. Celle d’un proche si ce n’est pas encore la nôtre.

Nous sommes nombreux côté seniors à nous braquer sur l’épouvantail que représente la perspective de « finir » en EMS. Mais combien anticipent concrètement le passage à la dépendance, en discutent avec leurs proches, prennent le temps d’investiguer à l’avance, hors stress émotionnel, ce que propose notre société pour rendre la fin de vie peut-être plus douce le moment venu ?

Je pense aux aides diverses pour remplir sereinement ses directives anticipées en dialoguant avec son médecin sur les valeurs auxquelles on tient. Je pense à l’éventail et au fonctionnement des services d’aide à domicile, privés ou subventionnés, à distinguer des services de soins. Je pense à l’offre des cours qui forment des bénévoles prêts à offrir leur présence, ainsi ceux et celles qu’on nomme thanato-doulas. Sans oublier les services et lieux dédiés aux soins palliatifs qui varient d’un canton à l’autre.

Se préparer à la fin de vie d’un proche comme à la sienne, est bien sûr une lente démarche intérieure mais aussi un travail d’investigation. Du boulot, à reprendre en multipliant les approches. Dernière en date en ce qui me concerne, la lecture de « Mourir », le petit livre très clair et concis, publié en 2014 par Gian Domenico Borasio, professeur de médecine palliative au CHUV. « Un puissant anxiolytique », résumait la journaliste Sylvie Logean dans Le Temps.

Alors quoi ? J’aime à imaginer que les communes proposent, gratuitement et à bien plaire, des moments très accessibles de préparation à la fin de vie. Si l’offre existe déjà à Lausanne, mea culpa, je ne suis pas au courant. Le livre « Mourir » pourrait être mis à disposition de tout un chacun. Un peu comme il n’y a pas si longtemps la Bible dans bien des chambres d’hôtel. J’imagine le petit choc des jeunes mariés qui découvrent ce titre dans le tiroir la table de nuit … On n’en est pas là.  

Il n’y a pas que l’inacceptable, à savoir notre disparition inéluctable. Il y a aussi tout ce qu’on n’a pas envie d’explorer concernant le corps qui s’en va, qui se défait. Avoir revu il y a peu le film « Amour » de Michael Haneke (Palme d’Or 2012, Oscar 2013) où un mari – Jean-Louis Trintignant – accompagne sa femme en fin de vie – Emmanuelle Riva – rappelle l’immensité de la tâche : accompagner vers la mort, en approcher soi-même, en tentant d’élargir la limite de ses moyens.

11/05/2022
24 Heures