Ah ces maisons des Cyclades, éblouissantes de blancheur insulaire sur fond bleu égéen. Eh bien, malgré de lointaines origines maternelles grecques (d’Istanbul) et une bonne connaissance du grec acquise au cours de nombreux séjours, vendre l’une d’elles au printemps 2022 n’est pas de la tarte. Même si la transition numérique semble acquise au sein de l’administration, rien n’a vraiment changé chez les Hellènes.
La courtière nous avait avertis. « Comptez aujourd’hui au moins huit mois pour vendre ou acheter un bien, quelle que soit sa valeur. » Les acquéreurs sont pourtant vite trouvés, les Français se ruent sur la Grèce.
Il faudra déjà sept mois pour obtenir une liste à jour des documents nécessaires, libellée en grec bureaucratique bien sûr. Mais des certificats in-dis-pen-sables n’y sont pas répertoriés, eux qui auraient dû accompagner le contrat d’achat fait il y a 25 ans. Un dessous de table conséquent permettra d’obtenir la feuille volante datée signée en question. Même chose apparemment au bout de six mois pour l’inscription au cadastre que le pays a enfin rendue obligatoire dans un embrouillamini tel que les notaires ont fait grève pendant un mois après Pâques.
L’absurde n’est jamais très loin en Grèce. En bonne Suisse, vous tenez à tout payer de manière officielle ? Alors la TVA de 24% entre en action et ceci même sur les dessous de table que l’intermédiaire, en l’occurrence un comptable, a glissé aux fonctionnaires sans vous demander votre accord !
Quand la conclusion approche, tout s’accélère. La veille de la signature, la notaire vous somme de payer un complément d’impôt foncier. Eh oui, vous avez déclaré trop de m2 et devez donc – où est la logique… – encore une somme importante à l’État ! Arriéré calculé sur cinq ans ! Sinon, le topographe se remettra au travail et de nouveaux mois s’écouleront. Le comble de l’absurde est bien sûr que ce bien agrandi au cours des ans compte aujourd’hui nettement plus de m2 que ceux déclarés à l’époque. Mais l’État grec n’a rien à faire de la réalité, il a juste besoin d’argent.
Comment faire repeindre la maison, tailler arbre et arbustes avant la vente ? Tous les ouvriers sont happés par un énorme chantier touristique, 70 bungalows avec chacun sa piscine. Une autre absurdité. Il faut donc promettre une somme d’argent substantielle. Et comme prévu, après des mois d’attente et de supplications, tout est fait dans les jours qui suivent.
Dernière cerise sur le gâteau, la tentative d’intimidation de l’avocate qu’il a bien fallu engager pour avancer. Elle vous appelle la veille au soir de la signature, vous somme d’augmenter d’un tiers sa commission, s’embarque dans du chantage.
Eh bien là, voyez-vous, j’ai dit non. Niet. Maigre victoire. Où sont donc passées les féministes qui devraient ici aussi monter au créneau ?! On sait bien qu’une femme seule qui possède un bien immobilier à l’étranger, que ce soit en Grèce ou ailleurs, risque de se faire arnaquer de tous côtés. Et malgré des années de pratique d’un pays qui n’est pas devenu le sien bien qu’elle en ait acquis la nationalité.
Même si notre neutralité vacille, je tente de rester « suisse » d’abord, tenir mes engagements, payer sur facture et encaisser les chocs culturels sans hurler. De mon côté, un dernier message aux acheteurs encore envoûtés par la grécité « authentique », les tavernes et les paysages. A bientôt soixante ans, ils commencent tout juste à apprendre le grec. Peu leur importe donc que la description de la maison dans le nouveau contrat ne soit pas plus exacte qu’il y a vingt-cinq ans. Mais ils ont un atout de taille : c’est monsieur qui monte au front et il est avocat.
Enfin, deux jours plus tard, je poiraute en vain plus d’une heure à la Banque Nationale de Grèce pour tenter de faire radier mon compte bancaire. Là encore, c’est mon « représentant légal », alias le comptable, qui me dit au téléphone «mais laisse tomber, ne fais rien et dans 2-3 ans, ton compte disparaîtra tout seul ».