Tomber la veste

Tomber la veste image

N’est-ce pas étrange quand une expression banale, consacrée pour dépeindre l’ennui – « ce livre me tombe des mains » – ou la décontraction – « ils ont tombé la veste » -, illustre soudain une réalité désagréable de la vie quotidienne? Depuis quelque temps, les livres mais aussi de nombreux autres objets me tombent des mains. Littéralement. Certains disparaissent même à jamais de mon existence, sans que je comprenne comment. 

Jusqu’ici, pas de vrai drame, de sauce tomate renversée sur mon voisin de table ni de vase hérité de mon arrière-grand-mère réduit en miettes. Mais combien de génuflexions non désirées pour ramasser ce qui m’a échappé. Une fourchette, une carotte, qui se retrouvent sur le sol de la cuisine. Pull, étui à lunettes, tant de choses échappent à mes doigts. Et quand deux amies pourtant très en forme me confient qu’elles font le même constat, je ne suis pas sûre d’être rassurée par des confidences qui confirment l’ampleur du phénomène.

Alors quoi, faiblesse musculaire, manque de concentration et donc maladresse ? Le symptôme est-il neurologique et donc inquiétant, ou serait-ce le déséquilibre de l’époque qui nous contamine ? Mon médecin penche pour la seconde explication : levant les yeux au ciel, il y découvre toute une constellation de maux consécutifs à la pandémie. Alors pourquoi pas ce lâcher prise d’un genre particulier. 

Parmi les effets secondaires d’un trouble que j’espère encore mineur, un large assortiment de gants dépareillés et de socquettes solitaires, ça c’est banal, mais aussi de superbes boucles d’oreilles désormais uniques et donc importables. Car c’est quand l’objet tombé ne réapparaît pas que ça gratte vraiment : où est donc passé l’un des deux gants tout neufs que je descendais de mon appartement vers le coffre de ma voiture ? Volatilisé entre deux étages. Ou cette super veste de sport emmenée en randonnée dont la disparition ne m’est apparue qu’une fois de retour à la maison. Il faisait pourtant encore frais pour la saison. Ne me reste plus qu’à faire le deuil non seulement de ces objets mais aussi d’une présence d’esprit qui peu à peu, dirait-on, s’évapore.

03/03/2022
Générations