Vieillir éco-intergénérationnel 


Où et comment habiter quand on vieillit, la question préoccupe depuis longtemps les seniors et les chercheurs. Alors l’« éco -intergénérationnel », un pari intéressant pour qui n’a pas envie de se terrer chez soi ? Je suis allée « sentir » l’écoquartier lausannois qui grandit entre la Pontaise et la Blécherette. Des moments passés seule ou accompagnée de jeunes comme d’amis du même âge, dans des bistrots, en visitant des logements à louer ou déjà habités. Avec toujours la question : ai-je envie d’emménager aux Plaines du Loup ?

Mon premier contact remonte à l’été 2023. Des amis intègrent avec enthousiasme l’immeuble phare d’alors. Le Bled. Je finis par trouver leur entrée, affronte un interphone qui me semble compliqué et monte chez mes copains. Du béton du sol au plafond. Le Bled, c’est béton. 

Laurent Giudetti, patron de Tribu, le bureau d’architectes qui l’a conçu, s’est souvent exprimé sur l’accent mis sur la vie communautaire, le vivre ensemble prévu sur la coursive de balcons sans séparation. De charmants jeunes pères sourient dans l’ascenseur et des affichettes annoncent de super activités. Le mari de ma copine s’active à l’atelier, elle fréquente bibliothèque et groupe théâtre. Au rez de chaussée du Bled, les locaux de Tribu, accueillants.

Pendant les mois qui suivent, nous discutons entre retraitées qu’on ne peut plus dire jeunes. Des femmes qui ont bougé, élevé leurs enfants, travaillé parfois milité, bref vécu et fréquenté différents milieux. Plein de points communs entre celles qui sont ravies d’habiter l’écoquartier en pleine émergence, d’autres qui se tâtent et celles pour qui c’est non.

Cet hiver, je visite un appartement du nouvel immeuble pour seniors. Au rez, un avantage que souligne la dame de la gérance. La Migros. Pas besoin de sortir de chez soi pour faire ses courses. Ah, bon ? Les vieux ne doivent pas prendre l’air ? Droit derrière, le parking monumental prévu pour tout le quartier. Et de l’autre côté d’un giratoire où ça circule pas mal, l’herbe semble encore verte mais de nouveaux bâtiments se profilent. D’innombrables chantiers sont prévus pendant dix ans encore. 

Je visite trois appartements du bâtiment destiné aux seniors. Moyennant des charges mensuelles ad hoc, des animations sont proposées par une personne présente à 30%. Y a-t-il aussi une aide pour menus services ? La dame de la gérance me toise « on n’est pas un EMS ! ». J’ai dû poser une question de vraie vieille. 

Je me balade dans le quartier avec un ami de mon âge. Le café où nous nous asseyons est sympa. Bruyant forcément, ici, c’est famille, les enfants circulent. De jeunes créatifs planchent et discutent. Nous le quittons pour les fauteuils d’un autre bistrot, feutré, calme même ! Les familles y débarquent à 18.30 pour la pizza du soir et dans mon assiette, le poulpe disparaît sous les pâtes. 

Voilà… cette chronique ne va pas me valoir que des ami.e.s. Même si je vois bien les promesses que le quartier pourrait tenir dans quelques années. Les petits arbres un peu partout, les allées vertes qui sinuent consciencieusement. Lieux de rencontre décontractés. Même un journal du quartier pourrait voir le jour. Alors pourquoi ce bel avenir ne me tente pas ?

Les constructions devraient être terminées en 2034, le chiffre se veut officiel. Soyons optimistes et comptons cinq ans de plus pour en finir avec la boue et les camions. J’aurai plus de 90 ans quand des feuillages devenus grands protègeront – peut-être – le calme que souhaitent la plupart des vieillards. Alors ? Programmons une dernière visite pour l’EMS en construction lui aussi dans le quartier.  

Isabelle Guisan  

25/01/2025

24Heures