Vingt-deux vitesses

Il faut aujourd’hui, nous le savons toutes et tous, zigzaguer avec une prudence de Sioux dans les méandres des relations familiales, amicales, sociales. Alors j’enfourche ici mon vélo intérieur, compagnon léger et mobile par excellence, pour sinuer parmi quelques exemples avec plus d’aisance.

Prenons d’abord une rencontre entre moi vaccinée détentrice d’un pass sanitaire et ma copine recalée devant les amphithéâtres, médiathèques, restaurants et j’en passe. Quand elle évoque avec mépris le « pass Coco », eh bien je continue à pédaler à côté d’elle sans faire de commentaire. Ça glisse tout seul, pas de secousse, notre discussion bifurque rapidement sur une artère moins encombrée.

Idem avec les questions de genres. Une mère qui s’effarouche de la « fluidité » d’un de ses enfants adultes et de son goût pour le « polyamour » ? Hop, je souris puis rétrograde, une vitesse inférieure s’impose pour affronter en danseuse cette pente un peu raide.

Les jeunes néo-féministes sont souvent outrées, on le sait, par les multiples « microagressions » qu’elles subissent. Quand elles haussent le ton, j’hésite à prendre la fuite. Et puis non, je freine, mets pied à terre. Elles me font réfléchir, ces filles, aux vexations, harcèlements et manques de respect que les femmes pourtant engagées dont j’ai cru faire partie n’ont pas toujours assez pris en considération.

Il y a encore les octogénaires bien portantes qui commencent tout juste à se poser des questions sur la fin de leur existence. Elles s’étonnent qu’on puisse y penser tous les jours bien avant d’avoir atteint leur âge. Là, je cale mon vélo et m’assieds au pied d’un arbre. Rien à dire, nous n’avons pas la même histoire.  

Et puis je reprends la route. Côté messieurs cette fois. Je roule le long des commentaires moqueurs, « comme ça tu t’arrêtes déjà après un verre ? » suivis de « ah bon, elle boit du thé vert ». Microagressions, les « autrefois, tu étais très belle » ou version montagne, « tu marchais plutôt bien » ? Je ne réagis plus, change de plateau et accélère.

Mon engin intérieur compte vingt-deux vitesses, de quoi gérer pas mal de situations. Il date d’avant son frérot électrique mais ce n’est pas plus mal. Rien de tel que pédaler avec énergie pour oublier les malaises, calmer ses colères et huiler ses réparties.

06/15/2021
Générations